Je me rappelle : Estate, un film de Ronny Trocker. Une photo : des personnages sur une plage, immobiles, statufiés dans leur pose estivale. Seule la mer et les roses des vents s’agitent dans ce monde suspendu qui fige même les mouettes. Parmi les vacanciers, des hommes noirs en jogging, des migrants échoués. L’un d’eux s’anime, rampe, s’échappe, sur le sable parmi les joncs, malgré des sommations audibles. C’est un cliché photographique qui l’arrête, une prise de vue qui le prive de mouvement et de liberté. La photo est devenue mortifère, outil de neutralisation massive.
Je me rappelle : Panthéon discount, un film de Stéphan Castang. Trois personnages qui témoignent, en plan fixe, de leur pathologie. C’est pour l’un un cancer, pour l’autre, la cécité, pour le troisième, une mémoire saturée. A chaque mal son remède, à chaque remède son petit budget. Des yeux tous neufs, avec option pour voir la nuit, une mémoire reconfigurée, c’est-à-dire allégée de quelques souvenirs, ou un projet de mort assistée. On peut s’offrir une mutuelle qui rembourse le diagnostic, pas le traitement. Hélas, nul système n’est parfait.
Je me rappelle : The magnificent lion boy, un film de Ana Caro. Apparition disparition du lion et de l’enfant, de l’homme de foire qui met l’un en cage et le tue. Un dessin où les visages se noircissent d’émotions et disparaissent, sur la page crayonnée et noircie, et réapparaissent, à la faveur d’une éclaircie, ailleurs et autrement. L’animation met en scène la phénoménalité d’un monde.
Je me rappelle. En Colombie, la riposte d’un chauffeur de taxi à une attaque armée fera deux morts et un licenciement. (Becerra, un film Jeronimo Atehortua Arteaga).
Je me rappelle : un Ciel bleu presque parfait, un film de Quarxx. Transgresser tous les tabous en une demi-heure, c’est filmer la mort d’un enfant, d’une balle en pleine tête, le handicap abusé, l’inceste suggéré, le viol assumé, le meurtre de celle venue aider, et dont on donne le corps aux cochons. Le soleil rouge de la folie, grossit, implose et rend furieux.
Je me rappelle : Fox-Terrier, un film de Hubert Charuel, à propos de chasseurs ne sachant pas chasser sans blesser le chien du voisin.
Je me rappelle. La planéité de l’art moderne a parfois gagné l’écran, transformé en page sur laquelle on écrit l’histoire. Sur la page de Play Boys, un film de Vincent Lynen, des vignettes s’organisent, et chacune met en scène une action : une porte s’ouvre sur un chien en laisse, un homme avance vers sa moto, un autre tire à la carabine. Des clichés animés que des ballons ascensionnés ou des projectiles en chute relient, en un seul récit.
Sur l’écran page de Kaltestal, la vallée froide, un film de Florian Fischer et Johannes Krell, le ruissellement de l’eau vient animer un peu les arbres, puis se transmue en une poudreuse qui couvre tout, des arbres jusqu’aux abeilles. Cette neige, c’est la chaux, qui neutralise la profondeur et donne au paysage un aspect sidéral.
Je me rappelle le grand plongeoir (Hopptornet de Maximilien van Aertryck et Axel Danielson). Fixé sur la plateforme dont le plan fixe retrace les limites, se tient chaque personnage avant le grand plongeon. Le grand bain est hors champ et pourtant il anime chaque pas, chaque pause. L’espace est vide et le temps suspendu, mais ce moment d’avant l’action est un concentré des motifs dont l’action dépend, et des possibles qu’elle projette.