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Sylvie Lopez-Jacob

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L’art, thérapie du spectateur?

28 août 2025

L’art : thérapie du spectateur ?

Du point de vue de l’art-thérapie, l’art a une dimension de soin par la création qu’il encourage. Mais se soigne-t-on aussi en regardant des œuvres d’art ? La réception d’une œuvre peut-elle, à l’instar de la création, avoir une dimension thérapeutique ?

 

Comment l’art soigne-t-il le créateur ?

 

Commençons par rappeler quelques généralités qu’il est bon d’avoir à l’esprit avant d’aborder le sujet.

La création passe par le geste et celui-ci est une rencontre avec la matière. La matière a un double rôle : elle plie et résiste. D’un côté, elle offre des possibilités – imprimer des formes durablement et jouer sur leur évolution.  Par elle le sujet sort d’une production seulement cérébrale. D’un autre côté, elle résiste : elle expose l’individu à des difficultés de réalisation pour lesquelles il va devoir trouver des stratégies de contournement ou de résolution. La matière incarne de manière réelle et symbolique le principe de réalité dont la pathologie mentale est en générale l’ignorance. Elle oblige et stimule la confrontation avec le monde extérieur alors que le sujet délirant est pris dans un enfermement en soi, dans un repli solipsiste (qui réduit le monde réel à un ensemble de représentations).

Ainsi, par ces deux fonctions, la matière modelée par le geste favorise l’accès à soi (chez Hegel, le soi correspond à la conscience et l’expression est une alternative à la réflexion ; en faisant des ricochets dans l’eau, l’enfant voit son œuvre qui est comme un reflet de lui-même ; le lac, et par extension le monde, est modifié par l’enfant, auquel Hegel assimile l’artiste, et devient le miroir dont le sujet a besoin pour se percevoir lui-même. Mais, dans le cadre de l’art thérapie, le soi ne se limite plus à la conscience mais intègre d’autre registres, émotionnel et pulsionnel).

Le rôle de l’art-thérapie est alors d’utiliser le geste pour réamorcer une évolution que la maladie vient interrompre. Sur cette question, Jean-Pierre Klein apporte de nombreuses précisions. Il commence par évoquer son objectif pour, logiquement, en déduire les moyens.

L’objectif n’est pas de laisser faire le geste créatif, pour ensuite, analyser le résultat à partir de catégories ou de concepts généraux qui vont produire son interprétation. Il s’agit au contraire, d’accompagner le geste, dans son processus dynamique, et de l’orienter de manière subtile vers une direction dont il puisse tirer un enrichissement. Il encourage donc de ne pas rompre la dynamique du geste mais de l’accompagner dans son cheminement. Cette idée reste proche de la distinction freudienne entre la sublimation et le refoulement. L’éducation apporte des interdits, nécessaires à la socialisation qui reste son objectif essentiel. Mais leur vécu varie : soit l’interdit de l’objet conduit l’énergie pulsionnelle à se réorienter vers d’autres objets socialement admis, voire valorisés (l’aliment raffiné, la pâte à modeler, un autre à aimer) et l’évolution se poursuit. Soit, l’interdit prive seulement l’énergie pulsionnelle de son objet, ce qui la transforme en angoisse cherchant dans la formation des symptômes une manière de se soulager. Ainsi, la santé est toujours associée à la mobilité, à l’évolution, la maladie est, à l’inverse, fixité, arrêt morbide du temps.

L’idée de la thérapie (qu’elle passe ou non par l’art) est de relancer le processus d’évolution, de faire redémarrer le temps. Jean-Pierre Klein l’évoque avec ses mots mais sans changer le sens général : il s’agit d’intégrer la maladie comme une étape du développement et non comme son arrêt. Pour énoncer les moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif, Klein utilise un exemple, le récit d’un cas (il dirige alors l’école d’art thérapie de Barcelone) Une patiente maniaco-dépressive laisse surgit à son insu dans un dessin le trou noir d’un tunnel qu’elle associe aussitôt aux idées suicidaires qui la hantent.

C’est le point de départ de deux démarches thérapeutiques possibles dont Jean-Pierre compare l’efficacité.

Dans le premier cas (celui, réel, qu’il a observé) le thérapeute utilise le dessin pour élaborer avec la patiente une interprétation. A la figure du tunnel est associé un symbole. Or, ce procédé ouvre une voie sans issue qui met en échec la thérapie. Plus la symbolisation se développe (à partir de formes convenues, clichées, telle que l’arbre à une seule feuille pour dire la solitude, le choix de petits cœurs rouges pour exprimer le besoin d’amour etc..) plus la matière s’allège (les crayons remplacent les pinceaux). La patiente se replie dans des représentations stéréotypées au lieu de poursuivre la confrontation au réel amorcée par le geste de création.

Dans le second cas (suggéré pour ouvrir une voie plus fructueuse), la figure dessinée se prolonge, se ramifie, elle pousse plus avant le travail d’élaboration qu’elle a commencé. Le rond noir forme une spirale qui peut être amplifiée, le dessin esquisse un volume qui peut donner naissance à une installation en 3D etc… Ainsi, l’angoisse peut trouver dans la réalisation plastique matière à sublimation, elle peut s’intégrer dans le processus créatif comme une étape au lieu d’y mettre un point d’arrêt.

L’art-thérapie n’a donc pas le caractère rétrospectif de l’interprétation mais celui, projectif, du travail en cours que la maladie doit alimenter et non interrompre. Klein suggère ainsi l’existence d’une bonne et d’une mauvaise thérapie (qui, comme la bonne et la mauvaise éducation chez Freud n’a bien sûr aucune connotation morale).

 

Si le soin est directement lié à l’acte créatif, comment peut-on le déplacer sur le terrain de la réception de l’œuvre d’art ? Comment penser qu’un spectateur se soigne alors qu’il reste extérieur au processus de création et à la dynamique qu’il engage ?

Pour répondre à cette question, sans doute faut-il préciser ce que le terme de soin recouvre au juste. Nous avancerons trois arguments, qui donnent à la notion du soin trois acception différentes.

 

Comment l’art soigne-t-il le spectateur ?

Le soin comme souci de soi (se prendre comme objet d’attention)

Pour développer cette perspective, prenons appui sur une œuvre, celle de Alain Baczynsky, dont le travail, exposé à Beaubourg, a donné lieu à un livre, Regardez, il va peut-être se passer quelque chose, publié en 1980.

Ce qui motive le choix de cette œuvre, c’est d’abord le contexte de sa création.

Baczynsky a suivi entre 1979 et 1981 une cure psychanalytique. Entre chaque séance, il s’est photographié (dans l’état où la séance l’a plongé). Tantôt il est plein cadre, tantôt il fuit dans un bord. 242 autoportraits sont réalisés dans un photomaton. Crée en 1928, le photomaton fut le terrain de jeu des surréalistes : les autoportraits automatiques leur semblent une variante de l’écriture automatique mettant l’individu en relation avec l’inconscient. Le huis-clos de la cabine, sans la présence d’un photographe, libère l’expressivité fantaisiste du visage et le déclenchement de la prise de vue limite la mise en scène de soi et révèle des faces cachées du sujet. De plus, dans le protocole de l’artiste, des mots sont écrits au dos de chaque photo. L’image devient donc un intermédiaire et une médiation entre deux moments de la verbalisation, celle qui précède la photo, dans le cabinet du thérapeute, et celle qui suit la prise de vue, dans la cabine photographique. Dans cet exemple, ce n’est pas l’art (la création) qui inspire le soin (le suivi thérapeutique décrit par Jean-Pierre Klein) mais c’est le soin (la cure) inspire le travail artistique.

Est-ce que cette production artistique influence en retour le déroulé des séances d’analyse ? Est-ce que cette création soigne l’artiste ? Il faut, pour répondre, analyser l’évolution des autoportraits et de la verbalisation qu’ils inspirent. C’est la démarche qu’entreprend Horacio Amigorena, universitaire et psychanalyste. Il décrit la manière dont évoluent, en cours d’exposition, le rapport à soi et au double spéculaire, l’image de la mère, l’articulation du visible et du lisible.

Est-ce que cette œuvre soigne le spectateur devenu lecteur du livre ? Sans doute, elle éveille, comme toute œuvre, sa réflexion, car dans le plus singulier (une cure) se révèle le plus universel (le rapport au miroir et la quête de soi). Mais de la réflexion au soin, il y a encore un pas et peut-on le franchir ?

La réponse est affirmative à condition de reconsidérer le sens que l’on donne au terme de soin. Le soin n’est pas nécessairement un acte réparateur qui traite un dysfonctionnement ou restaure un équilibre rompu. Il signifie aussi le souci de soi. C’est en ce sens que l’entend Michel Foucault (Histoire de la sexualité, 1976) lorsqu’il compare la médecine qui traite la maladie en assujettissant le patient aux prescriptions médicales (médecine « d’esclave ») et la médecine qui enseigne au patient à éviter la maladie en prenant soin de sa santé par l’exercice et l’alimentation (médecine « d’hommes libres »).

Les autoportraits de Baczynsky ne guérissent bien sûr d’aucune maladie, ils n’ont pas de visée ni d’effets réparateurs, mais l’effort de construction de soi qu’ils mettent en scène renvoie chaque lecteur à sa propre condition. L’art nous soigne en mobilisant notre désir d’évolution et de création de soi, en nous préservant de ce qui nous fixe, et nous conduit aux automatismes qui éclipsent la conscience de soi. Il nous soigne en mobilisant notre désir d’évolution et de construction de notre histoire.

Le soin comme possibilité de la catharsis, du détachement de soi (alors que la maladie est vécue comme adhésion voire adhérence à un état, dont on ne parvient pas justement à se détacher)

Dans son ouvrage Et si l’art pouvait changer notre vie, publié en 2022, Susie Hodge accorde un rôle thérapeutique aux musées. L’art nous soigne quand il permet une catharsis. Dans la Poétique d’Aristote où elle fait figure de concept clef, avec celui de mimesis, la catharsis prend un sens esthétique, en marge de ses connotations morales ou médicales. Elle ne purifie pas le spectateur de ses émotions, mais lui offre l’occasion unique d’éprouver celles-ci sans la gravité que l’expérience vécue leur confère. L’émotion est sincère mais désintéressée, délivrée de son enjeu existentiel. La peur ou la tristesse deviennent source de plaisir quand elles s’éprouvent gratuitement, devant un drame ou un danger qui ne nous concernent pas, et ne nous affectent pas vraiment.

L’art permet la catharsis qui nous allège. L’art ne rend pas meilleur mais plus libre.

Or l’art du soin est aussi de rendre au patient cette liberté dont la maladie le prive car la maladie est souvent vécue comme adhésion voire adhérence à un état, dont on ne parvient pas justement à se détacher.

On ne pense plus qu’à cela.  On s’enlise. Avec l’art on s’allège.

La catharsis est nécessaire au soin, comme souci de soi. Car se soucier de soi, c’est faire attention à soi, c’est-à-dire se projeter vers un avenir que l’on tâche de préserver.

La maladie est au contraire une adhésion à soi, elle nous attache au présent que l’on perçoit comme intemporel (on n’en sortira jamais).

Le soin comme reconnexion (alors que la maladie nous déconnecte)

Si Yankélévitch admire tant la musique (La musique et l’ineffable, 1961), c’est parce qu’elle nous met en présence de l’instant dans sa fugacité, c’est-à-dire sa phénoménalité. Elle nous fait saisir la vérité du phénomène, une apparition que guette la disparition. Il évoque Ravel, Chopin et sa conscience aigüe de la finitude (il danse en pensant à tous ceux qui ne danseront plus). Il mentionne Debussy.

Pas dans la neige est une œuvre qui compose avec le silence qui est la réminiscence des sons disparus. La trace des pas est la présence allusive de quelqu’un qui est passé par là… et de tous ceux qui sont passés depuis l’origine du monde. Les pas ne mènent à rien mais proviennent d’un passé enfui qu’ils suggèrent. Ils sont le mouvement de la marche sans la marche et sans le promeneur.

Dans le débat qui oppose trace et tracé, la mimésis et son absence, c’est toujours relativement au mouvement que la trace est pensée, qu’elle hérite de la forme qu’il a déposé en elle, ou de l’énergie qu’elle restitue.

Ici, l’approche est différente et singulière. La trace du pas dans la neige n’est plus la conservation durable d’un mouvement, mais l’expression éphémère du temps, de la durée pure qui s’affranchit du mouvement qui la spatialise, et qui n’existe qu’à sa marge. La trace du pas existe grâce à la neige et disparait à cause d’elle. Elle est, du fait de sa disparition prochaine, l’expression même du phénomène. L’apparition du pas dans la neige est la promesse de sa disparition. Un marcheur oublié est passé par là, et le souvenir qu’il a laissé est promis à l’oubli.

La musique est comme la peinture chinoise décrite par François Jullien, elle montre le transitoire, la métamorphose du paysage sous la bruine, le brouillard, un paysage en train de changer sous la neige en train de fondre. Elle est comme le cinéma de Kurosawa qui d’ailleurs intègre Ravel dans son film Rashomon, non par goût de l’occident, mais pour produire un équivalent sonore de l’image, et donner à voir encore et encore le même récit mais chaque fois sous un jour différent, d’un point de vue différent, affecté de cette légère variation qui affecte toute chose dont l’apparition reste unique malgré l’effet du déjà-vu.  Le piano est nostalgique du son disparu qui laisse du vague à l’âme.

Cette analyse met en lumière un sens nouveau de l’art-thérapie du spectateur. Si l’art peut nous soigner, c’est aussi en nous reconnectant avec notre nature profondément phénoménale. Il nous soigne par sa dimension éthique. Il n’a pas de visée morale, n’est pas un donneur de leçons, il est éthique car se saisissant pleinement du lien sur lequel l’éthique repose.

L’art éthique guérit, quand la maladie est rupture de lien, repli sur soi, oubli du lien.

L’art nous guérit en nous rappelant la phénoménalité commune qui nous lie, aux autres hommes mais aussi aux autres vivants. Baptiste Morizot rappelle, dans la philosophie de l’écologie qu’il propose (Manières d’être vivant, 2020), que cette perte de conscience du lien entre les hommes et les vivants est aussi à la source de la maladie dont notre planète se meurt. La protection de la nature n’est pas le remède à sa destruction, car elle n’est que l’autre version du dualisme qui sous-tend le rapport destructeur.

Ni destructeur ni protecteur, l’homme est un habitant du monde.

En restaurant la conscience du lien, l’art est un outil de guérison pour l’homme et pour le monde.  `

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