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Sylvie Lopez-Jacob

Exercices philosophiques

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Archives for janvier 2018

Le lion est mort ce soir

28 janvier 2018

C’est d’abord, à première vue, un film sur le tournage d’un film, comme La Nuit américaine avec lequel il résonne. La question du jeune acteur de Truffaut (les femmes sont-elles  magiques?) trouve ici son écho dans le problème que pose au vieil acteur la mort et sa rencontre. Le tournage s’interrompt un temps, et laisse le temps à un autre d’avoir lieu, celui d’une bande d’enfants dans le décors d’un lieu désaffecté, et s’imbriquent les histoires.

Le film s’achève en revenant sur le plan qui l’a amorcé, offrant au problème qu’il posait une réponse, la seule dont soit capable le vivant : en fouillant du regard un lointain qui l’exclut. Pour jouer la rencontre avec la mort, l’acteur accepte d’abord de fermer les yeux, respectant la consigne, puis il refait la scène, à sa façon, les yeux ouverts, désarmés et curieux.

Le personnage de l’acteur est joué par Jean-Pierre Léaud, et sa présence donne au film une épaisseur bien singulière. Léaud ou l’incarnation d’une nouvelle vague sexagénaire, l’expression révolue du renouveau passé du cinéma, monument vers lequel les adultes du film portent une admiration visible. Mais Léaud est aussi un vieil homme aux yeux des enfants. Il est alors Jean, Jean tout court, pour des enfants à court de mémoire, acteur sérieux et maladroit, qui écoute attentivement leurs directives mais les respecte peu, acteur libre, embauché dans un film de fantômes mais pour jouer un homme que les fantômes effraient.

Il est un vieil acteur qui joue et auprès de qui les enfants même paraissent sérieux, acteur qui rêve du fantôme de la femme aimée, et auprès de qui les enfants eux-mêmes apprennent à rêver. Le cinéma qu’il leur conseille et leur inspire n’a plus qu’à couler de source.

En lui les temps cohabitent, en dehors de la linéarité du déroulement du film, en dehors de la circularité qui est celle du scénario.

Et le regard du spectateur se surprend à le voir rajeunir à vue d’oeil. D’abord attentif à la métamorphose que l’âge impose à ses traits, guettant les signes de sa transformation, il est frappé ensuite de passer outre pour retrouver, intacts, les yeux du jeune homme, vifs et incrédules, les élans de sa voix ou l’emphase de sa gestuelle.

Le lion est mort et vive le lion, vive la promesse que revêt le retour bienveillant du fantôme, pour que, sans doute, vive, à jamais, le cinéma.

Réminiscences

28 janvier 2018

Je me rappelle : Estate, un film de Ronny Trocker. Une photo : des personnages sur une plage, immobiles, statufiés dans leur pose estivale. Seule la mer et les roses des vents s’agitent dans ce monde suspendu qui fige même les mouettes. Parmi les vacanciers, des hommes noirs en jogging, des migrants échoués. L’un d’eux s’anime, rampe, s’échappe, sur le sable parmi les joncs, malgré des sommations audibles. C’est un cliché photographique qui l’arrête, une prise de vue qui le prive de mouvement et de liberté. La photo est devenue mortifère, outil de neutralisation massive.

Je me rappelle : Panthéon discount, un film de Stéphan Castang. Trois personnages qui témoignent, en plan fixe, de leur pathologie. C’est pour l’un un cancer, pour l’autre, la cécité, pour le troisième, une mémoire saturée. A chaque mal son remède, à chaque remède son petit budget. Des yeux tous neufs, avec option pour voir la nuit, une mémoire reconfigurée, c’est-à-dire allégée de quelques souvenirs, ou un projet de mort assistée. On peut s’offrir une mutuelle qui rembourse le diagnostic, pas le traitement. Hélas, nul système n’est parfait.

Je me rappelle : The magnificent lion boy, un film de Ana Caro. Apparition disparition du lion et de l’enfant, de l’homme de foire qui met l’un en cage et le tue. Un dessin où les visages se noircissent d’émotions et disparaissent, sur la page crayonnée et noircie, et réapparaissent, à la faveur d’une éclaircie, ailleurs et autrement. L’animation met en scène la phénoménalité d’un monde.

Je me rappelle. En Colombie, la riposte d’un chauffeur de taxi à une attaque armée fera deux morts et un licenciement. (Becerra, un film Jeronimo Atehortua Arteaga).

Je me rappelle : un Ciel bleu presque parfait, un film de Quarxx. Transgresser tous les tabous en une demi-heure, c’est filmer la mort d’un enfant, d’une balle en pleine tête, le handicap abusé, l’inceste suggéré, le viol assumé, le meurtre de celle venue aider, et dont on donne le corps aux cochons. Le soleil rouge de la folie, grossit, implose et rend furieux.

Je me rappelle : Fox-Terrier, un film de Hubert Charuel, à propos de chasseurs ne sachant pas chasser sans blesser le chien du voisin.

Je me rappelle. La planéité de l’art moderne a parfois gagné l’écran, transformé en page sur laquelle on écrit l’histoire. Sur la page de Play Boys, un film de Vincent Lynen, des vignettes s’organisent, et chacune met en scène une action : une porte s’ouvre sur un chien en laisse, un homme avance vers sa moto, un autre tire à la carabine. Des clichés animés que des ballons ascensionnés ou des projectiles en chute relient, en un seul récit.

Sur l’écran page de Kaltestal, la vallée froide, un film de Florian Fischer et Johannes Krell, le ruissellement de l’eau vient animer un peu les arbres, puis se transmue en une poudreuse qui couvre tout, des arbres jusqu’aux abeilles. Cette neige, c’est la chaux, qui neutralise la profondeur et donne au paysage un aspect sidéral.

Je me rappelle le grand plongeoir (Hopptornet de Maximilien van Aertryck et Axel Danielson). Fixé sur la plateforme dont le plan fixe retrace les limites, se tient chaque personnage avant le grand plongeon. Le grand bain est hors champ et pourtant il anime chaque pas, chaque pause. L’espace est vide et le temps suspendu, mais ce moment d’avant l’action est un concentré des motifs dont l’action dépend, et des possibles qu’elle projette.

Le Musée de la chasse

28 janvier 2018

A gauche, en entrant, Sophie Calle nous cueille, avec une photographie de son père, prise avant sa mort. Le portrait surgit et s’efface aussitôt, laissant place au récit par lequel il prend vie. Il surgit à nouveau puis, s’efface. En face, c’est la photographie d’un fantôme. Un suaire blanc recouvre un ours blanc, qu’on verra à l’étage, dont il laisse deviner la forme et dont il magnifie la stature. Un autre texte, posé à côté, se laisse aller à des associations qui convoquent le temps présent et l’enfance. L’animal menaçant est devenu menacé, comme le père que l’âge rend fragile. L’ours, présent et invisible, est à l’image du père absent.

Les morts, les autres, sont là, réunis dans une autre pièce. Ils ont pris la forme d’animaux empaillés, quasi vivants, mobilité mise à part. Monique, la mère, est une girafe qui regarde de là haut, morte elle aussi, et de haut, sans bienveillance. L’exposition commence comme une collection de vestiges, de fragments intimes, d’évocations tourmentées. Un trio œdipien, somme toutes ordinaire, met en scène, à travers l’ours et la girafe, les figures parentales, protectrice ou sauvage, des figures tutélaires ou neutralisées.

A l’étage, on traverse les pièces du musée, pièce au tigre, pièce aux trophées. Les fusils décorés sont en vitrine, les tableaux de scène de chasse sont aux murs, les figurines en faïence peinte sont sous scellés. Sur les natures mortes, les volailles et les chats sont morts, alanguis sur des tables au milieu des plats.

Un instant, l’on croit faire fausse route, avoir perdu l’exposition en route, s’être tout bonnement égaré. Mais de petits cadres à peine éclairés présentent de petits textes signés SC. Ils nous rattrapent au vol et nous réinstallent de manière imprévue dans la visite. A la lecture, des anecdotes résonnent comme de vrais faux souvenirs qui convoquent la mère, encore, et le père, constamment. Ils mentionnent aussi les hommes, aimés ou fuis, les promesses, avortées, de mariage, les voyages et les morts. Des objets insolites font leur apparition, c’est-à-dire que l’on réalise leur présence, incongrue dans le décors. L’on remarque, au milieu de la vitrine, un sèche cheveu parmi les bibelots, ou un portait de Freud entre des scènes de chasse à cour. Un chat empaillé est pendu sur le siège d’un fauteuil, sous des scènes de félins en chasse, un drap brodé est replié sous les hallebardes.

Un moment désarçonnée par une exposition qui se dissémine, discrète au sein du musée, la pensée récupère et reprends ses droits. Elle se met à établir des liens, et des analogies dans cet assemblage qui les brise ou les tait. Le chat pendu devient, peut-être, l’image inversée des félins qui s’attaquent à leurs proies. L’amour courtois que mettent en scène les figurines trouve sa version obscène dans la forme phallique d’un dessert de fruits plastifiés, le sèche cheveu emprunte au cor sa courbe vague. Mais, parfois, la pensée logique s’exerce en vain, et le landau, posé là, est seulement un landau.

L’on comprend, si tel est le but, que la chasse et les natures mortes (encore en vie plutôt, dans la version anglaise) font écho au monde de l’artiste, à sa manière de parler de soi comme d’un être en sursis, moins présent que ces disparus qui peuplent ses évocations, ou ses photos de sièges, vides, dans un parc ou une allée par avance désertés.

Soi-même, on part en chasse, à la recherche de cette psychanalyse qu’on dit sauvage, imaginant, par conjecture, le dégout éprouvé par l’artiste pour avoir survécu au père défunt, même si son deuil, ressassé, n’est pas dénué d’humour (ainsi, écrit-elle, à la mort de mon père, je n’avais plus d’idées. Je suis donc allée chez le poissonnier qui m’a conseillé le saumon. Et c’est, à côté du texte, de leurs dépouilles luisantes que se tisse la tenture exposée). L’on s’amuse, aussi, des comparaisons explicites, qui présentent la quête de l’âme sœur comme une chasse, alignant les trophées pour les classer en catégories. Sur le dernier panneau, les petites annonces du chasseur français, compilées, le signifient clairement. Des hommes cherchent des femmes « avec ou sans tâche », infirmes ou pas, « intelligentes mais non intellectuelles », rondes ou de bons revenus.

Mais, se faisant, on prend conscience de cette question : que peut faire d’autre la pensée que de se mettre en chasse, de se lancer sur les traces d’un gibier, qu’il prenne la forme d’une œuvre, ou d’un film, ou d’une exposition ? Que Sophie Calle trouve dans ce monde de bêtes empaillées un climat propice à l’évocation de son monde, ou que, par ricochets, ses photos et ses textes transforment les scènes de chasse en parabole, cela importe finalement peu. Ce qui compte et s’impose, c’est l’effort manifeste que déploie la pensée sitôt qu’elle sent sa prise lui échapper, comme le fait la présence insolite, dans un décors convenu, d’objets et de mots qui lui sont étrangers.

Le cinéma moderne invite, par ses ellipses, à reconstituer les liens manquants. L’exposition opère ainsi. Et la pensée, détournée d’abord de ses habitudes et de ses attentes de cohérence et d’homogénéité, déroutée, trouve à se rétablir, quand elle restaure sa pratique et créé des liens. Alors, elle brandit l’œuvre comme un trophée.

Plus que l’analogie entre des univers et des climats, la chasse, dont le musée offre la représentation et dont l’exposition, ainsi semée, propose l’expérience, met la pensée face à elle-même. Elle met le spectateur face à la pensée, à la prise qu’elle exerce sur la vision, et la visite, quand elle la désoriente par son impuissance et en rétablit le cours par ses rétablissements.

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