C’est d’abord, à première vue, un film sur le tournage d’un film, comme La Nuit américaine avec lequel il résonne. La question du jeune acteur de Truffaut (les femmes sont-elles magiques?) trouve ici son écho dans le problème que pose au vieil acteur la mort et sa rencontre. Le tournage s’interrompt un temps, et laisse le temps à un autre d’avoir lieu, celui d’une bande d’enfants dans le décors d’un lieu désaffecté, et s’imbriquent les histoires.
Le film s’achève en revenant sur le plan qui l’a amorcé, offrant au problème qu’il posait une réponse, la seule dont soit capable le vivant : en fouillant du regard un lointain qui l’exclut. Pour jouer la rencontre avec la mort, l’acteur accepte d’abord de fermer les yeux, respectant la consigne, puis il refait la scène, à sa façon, les yeux ouverts, désarmés et curieux.
Le personnage de l’acteur est joué par Jean-Pierre Léaud, et sa présence donne au film une épaisseur bien singulière. Léaud ou l’incarnation d’une nouvelle vague sexagénaire, l’expression révolue du renouveau passé du cinéma, monument vers lequel les adultes du film portent une admiration visible. Mais Léaud est aussi un vieil homme aux yeux des enfants. Il est alors Jean, Jean tout court, pour des enfants à court de mémoire, acteur sérieux et maladroit, qui écoute attentivement leurs directives mais les respecte peu, acteur libre, embauché dans un film de fantômes mais pour jouer un homme que les fantômes effraient.
Il est un vieil acteur qui joue et auprès de qui les enfants même paraissent sérieux, acteur qui rêve du fantôme de la femme aimée, et auprès de qui les enfants eux-mêmes apprennent à rêver. Le cinéma qu’il leur conseille et leur inspire n’a plus qu’à couler de source.
En lui les temps cohabitent, en dehors de la linéarité du déroulement du film, en dehors de la circularité qui est celle du scénario.
Et le regard du spectateur se surprend à le voir rajeunir à vue d’oeil. D’abord attentif à la métamorphose que l’âge impose à ses traits, guettant les signes de sa transformation, il est frappé ensuite de passer outre pour retrouver, intacts, les yeux du jeune homme, vifs et incrédules, les élans de sa voix ou l’emphase de sa gestuelle.
Le lion est mort et vive le lion, vive la promesse que revêt le retour bienveillant du fantôme, pour que, sans doute, vive, à jamais, le cinéma.