Le Duende est cette force mystérieuse et archaïque à laquelle le chanteur de flamenco doit sa puissance. Mais pour Didi-Huberman, ce concept de Garcia Lorca dépasse les frontières de l’Espagne. Il résonne avec la force dionysiaque dont Nietzsche fait le ressort de la tragédie, avec cette augmentation de la puissance d’agir qui est chez Spinoza l’essence même de la joie. L’artiste est traversé par un courant qui le dépasse, le met en mouvement et le spectateur avec lui.
Ainsi, le ressort de la création est le ressort de l’émotion.
L’émotion n’est ni un état d’âme ni un comportement, elle est « atmosphérique », portée par l’air auquel elle donne sa densité.
Elle passe sur le visage filmé du jeune enfant comme un nuage poussé par le vent, ou elle brise dans un air raréfié le récit des survivants d’Auschwitz.
Elle vibre au rythme des collusions d’images dans l’atelier d’Aby Warburg, des partitions de Goethe, des percussions, des pas martelés d’Israel Galvan, des silhouettes dansantes d’Henri Michaux ou des formes dupliquées par le dépliage de Hantai. Chez Pasolini, elle inspire le vent des révoltes, elle expire la douleur du deuil, elle respire la lutte.
L’émotion donne leur rôle aux poètes, celui de bâtisseurs de mondes.
« L’enfant regarde, regarde, dit le poème. Il est sombre mais aérien (…). Sous les bombes, les enfants sont encore capables d’utopie ».