Le temps passé à ne rien faire n’est pas du temps perdu pour la création. Ainsi, pour Vassili Silovic, filmer un artiste au travail, ce n’est pas choisir les moments où il peint. Au contraire, le réalisateur laisse du temps à l’espace déserté, aux va-et-vient dans l’atelier, aux pinceaux en attente. L’oeuvre est en gestation, en amont du geste, dans la nonchalance de l’allure, dans les arrêts pensifs et les réagencements du lieu.
D’une telle maturation le film renonce à faire l’échographie. Entre Alain Séchas et ses créatures, un dialogue se noue, muettement, comme une rencontre dont il ne revient pas. Tel un pied de nez adressé au film d’Henri-Georges Clouzot, c’est le Mystère Séchas que construit le film de Silovic. Les toiles n’ont pas la transparence de la chair radiographiée, mais l’épaisseur onctueuse de la peinture fraiche.
De l’enfance, l’artiste a encore les occupations. Il reste les bras ballants et s’assoit pour rêver. Il contemple sur la toile un homme chat qui lui renvoie en miroir le regard ahuri de celui qui découvre pour la première fois son image. Il dessine comme l’on déguise et ses personnages ont chacun leur attribut symbolique. À la joueuse sa raquette, et à l’indien, à demi-détrempé par sa peinture de guerre, ses plumes.
Dans cet univers potache, la caméra s’amuse. Le cadreur se cache dans la glace du fond et l’ombre du preneur de son se profile à côté d’un chat en érection qui lui tend la perche.
La peinture étalée à grands traits est filmée au plus près pour rendre le son mouillé de la boue qu’on piétine. Les couleurs claquent comme le caoutchouc des gants de vaisselle dont Séchas s’est armé et qui donnent à celui qui les porte son allure d’apprenti sorcier.