L’exposition de Chiharu Shiota, est d’abord un entrelacement de fils sous lequel le spectateur se fraye un passage, rouge sang, ou noir, comme les cendres. Ces cocons immenses impressionnent (comme le fait tout immensité), mais ils n’annoncent pas une naissance, plutôt un répit, avant une déglutition. Les fils tissés bouillonnent au-dessus de nos têtes comme un brouillard, ils enserrent les murs, chaises, objets, jouets, ou miniatures. Ils enferment en cage deux robes blanches de mariées. L’air est dense, saturé. Sur les écrans, l’artiste nue s’enduit de peinture et de boue et s’ensevelit, vivante. Sa peau, toujours poisseuse, ne respire plus. Elle se couvre entièrement d’un flot de peinture toxique. Elle semble mimer sa mort. Le lien qu’elle met partout en scène, loin de garder la mémoire vive et d’irriguer nos vies, est un cordon qui ligote et qui étouffe.
Mais, plus frappant encore que l’œuvre et le climat qu’elle diffuse et qui persiste longtemps, est la multiplication des textes explicatifs qui s’affichent partout, survivance d’une croyance désuète qui assigne au regard la mission de « comprendre » le message de l’auteur.
Ainsi, le tissu exposé serait cosmique et organique à la fois, unissant dans une organisation analogue le corps humain et la nature. Les canaux sanguins et les courants telluriques sont les occurrences d’une même énergie. S’accumulent les allégories, les chaussures des déportés, les visages disparus, les valises laissées en chemin par le mouvement ascensionnel d’âmes enfin allégées. A chaque salle son inspiration affichée, incendie, maladie, angoisse. La visite se déroule en terrain conquis.
Ce but avoué de « penser » son art nous invite à la réflexion. Penser est ici, comme souvent, éclairer, amener de l’ombre à la lumière en explicitant l’implicite. Penser dévoile.
Mais qu’en est-il quand il s’agit de penser une œuvre d’art ? Quand il évoque la relecture d’Aristote par Averroès, Jean-Baptiste Brenet (Qu’est-ce que penser ?) suggère une autre voie. Il évoque la vertu de l’obscurité qui seule rend possible la phosphorescence. Penser n’est pas mettre en lumière mais voir la nuit.
Au pouvoir du dire qui enferme la chose dans les limites de la définition, sous l’étiquette du mot, la pensée préfère la puissance de l’expression qui ouvre la chose sur une infinie relecture. Comme la poésie libère le langage de sa fonction informative, la pensée est poétique quand elle laisse la chose rayonner et inspirer sans cesse l’interprétation.
L’œuvre d’art, à l’instar des lucioles, des écailles ou encore des prunelles des animaux sauvages, a besoin de pénombre pour laisser sa lumière diffuser et livrer ainsi sa puissance.