un film de Jean-Marc Gosse
Jamais la captation n’aura eu à l’image plus de réalité. Dans le film de Jean-Marc Gosse, la lumière est une lame qui prélève la matière visible. D’un plan à l’autre, la portion éclairée du champ s’amincit et s’effile. D’abord, la lumière est surface, derrière les vitres de l’atelier, puis elle se canalise dans le cylindre des néons, pour finir, densifiée, sous la forme d’un rayon qui s’échappe d’une petite cavité dans laquelle une figurine est placée. Par étapes, la lumière se concentre et elle renvoie l’espace à son obscurité natale. Dans cet intervalle éclairé, la statuette est visible et elle tourne sur son socle. Le mouvement latéral de la caméra rend son apparition fugace et son visage humanisé par tant de mystère.
Ainsi, l’écran n’est plus une fenêtre ouverte sur un monde mais une fente par laquelle il s’immisce et arrive jusqu’à nous, transformé.
Le photographe travaille ou, comme le dit sa voix off, il bricole. Il assemble, serre, dévisse, ajuste. Chaque geste est saisi en gros plan, dans sa technicité. Sur le flanc d’un appareil argentique, un pouce déclenche une prise de vue. Une main actionne une manette qui anime un humanoïde dont les bras articulés jettent des étincelles. L’opération est filmée dans son déroulement puis, tôt ou tard, raccordée au résultat qu’elle produit.
Mais ce raccord est singulier, comme l’est le dispositif. En amont du procédé technique que la prise de vue réclame, c’est un processus qu’il met en œuvre et qu’il laisse opérer. Le travail de l’artiste est de mettre au travail l’alliance féconde de deux éléments. Ainsi, un doigt puis deux plongés dans l’eau impriment à la surface des cercles larges qui se croisent et s’accroissent. La caméra filme au plus près ces modulations, et en joue par ses variations d’angle. Tantôt la main se profile comme une ombre en laissant à l’eau la matière, tantôt elle trouve dans l’eau la luminescence qui lui redonne un relief et une densité.
De ces phénomènes optiques, l’image photographique garde la trace, et elle surgit, comme une vision, dans un plan fixe et frontal. Pour autant, elle n’est pas figée. Le montage superpose à la photographie sa genèse et prolonge ainsi en elle le processus dont elle est issue. En elle, les ondes ou les étincelles sont encore vives.
La surimpression permet au film de révéler ce que l’impression photographique renferme : une image animée du phénomène qui l’a fait naître.
Mais la photographie révèle aussi ce qu’est la chose photographiée : une apparition dont l’oeil s’amuse à observer les précieuses variations.
Bourges, 2019
Cet article a été initialement publié sur AM Art Films.
Il fait référence à leur production: L’alchimiste, un documentaire centré autour du travail photographique de Patrick Bailly-Maître-Grand.