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Sylvie Lopez-Jacob

Exercices philosophiques

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Colloque de philosophie Avril 2018

16 avril 2018

Comment devient-on spectateur de film ? La réponse paraît simple. Il suffit de prendre place, devant l’écran. De notre position dépend notre statut.

Ainsi, un spectateur reçoit ce qu’on lui donne à voir. La création de l’oeuvre et sa réception sont deux étapes distinctes, et successives, et chacune donne à chacun sa fonction. Le créateur est aux fourneaux, il s’active, et le spectateur, attablé, attend, en invité de choix.

Pourtant, n’est-ce pas là une vision simpliste ? Sans doute, un plasticien peut-il produire sans exposer. Mais un cinéaste ne peut réaliser un film sans le projeter.

Un dessin au fond d’un tiroir est déjà un dessin, mais un film sur la pellicule n’est pas encore un film.

Il faut passer par la mémoire du spectateur pour transformer l’image fixe en mouvement et pour transformer l’image en mouvement en signe. Sans la mémoire de la rétine qui lie et dynamise la succession d’images, ce sont 24 images fixes par seconde que l’oeil percevrait. De la même manière, sans les plans de l’enfant, de l’assiette, du cercueil, qui lui sont associés au montage, et dont le spectateur se souvient, le visage impassible que filme Koulechov resterait impassible, et non pas, tour à tour, attendri, affamé, affligé.

Le film n’existe donc pas avant la projection, mais au moment où celle-ci a lieu, et le spectateur devient co créateur. C’est sa mémoire qui construit le film.

Mais par quoi cette mémoire est-elle elle-même construite ?

La relation du spectateur au film nous éclaire-t-elle sur notre relation au monde, montrant une fois de plus que l’art a ce pouvoir de rendre manifeste ce qui donne sens à l’expérience humaine?

Suite à paraître…

Prise de vues

13 mars 2018

Prise de vues

Clermont Ferrand 2018

Un diner a ses codes comme toute célébration : du salut aux présentations, du toast aux conversations dont la rumeur gonfle et décroit, de la danse aux disputes qui s’amorcent et avortent, pour un départ en règle.

Du point de vue d’une enfant, ce sont des rituels, des gestuelles sans rime ni raison. Le film de Jerry Carlsson les met en scène, en remplaçant par d’autres nos conventions pour en manifester le caractère insolite. Une caresse sur le bras remplace notre accolade, les verres s’échangent, sans choc, mais suivant un tracé ordonné et complexe, et le martèlement des talons sur le sol tient lieu de mots. Quant à la danse, c’est un ballet mécanique dans lequel des corps serrés glissent à petits pas, des têtes pivotent par petits coups comme font les volatiles, et des bras, enlacés, ondoient.

Dans la maison, l’ombre qui suit l’enfant est plus vivante que les gens qui l’habitent. Son salut est plus expressif, sa présence plus animée. Lors de la soirée, un coup de feu retentit qui la touche, et laisse au sol une trainée de sang. Mystérieuse violence ordinaire dont on éloigne l’enfant.

A son départ, une jeune femme lui fait signe, et ce geste, qu’elle emprunte à l’ombre, la place, en marge de l’assemblée, comme un personnage incarné que l’enfant ne quitte pas des yeux. (Jerry Carlsson, Skuggdjur, (les ombres), Suède, 2017, fiction ).

Quand la parole diffère l’action, elle attise la curiosité. Quand elle la diffère trop longtemps, elle suscite l’impatience. Quand elle s’acharne à la rendre impossible, elle provoque l’amusement. C’est cet effet que produit le documentaire de Hannes Vartiainen et Pekka Veikkolainen (Puheenvuoro, (prise de parole), Finlande, 2017). Dans le huis-clos d’un conseil municipal, une caméra saisit en plan large la présidente qui tente d’ordonner les débats. Elle filme en contre champ chaque orateur, lors de sa prise ou reprise de parole. Le montage ajoute les discours aux discours et construit l’inventaire des objections que soulève le projet de construction d’un tram. L’entreprise qui semblait anodine devient, ainsi contrée, vision d’apocalypse. Du comique de répétition à l’hyperbole, la situation touche au burlesque quand les mots prennent, comme des choses, le dessus sur les hommes.

Sur un chantier germinent des personnages faits de briques et de broc. L’un d’eux, un chat borgne, mi centaure, mi cyclope, sert de guide. Avec lui, on parcourt un décors, en papiers découpés ou cristaux, qui s’effondre et s’édifie, urbain ou végétal. Sur le chat et sur cet univers veille en totem un chef indien, central et anecdotique, témoin oublié d’une métamorphose qui emporte l’arche et sa faune. (Ugly de Nikita Diakur, Allemagne, 2017, animation expérimentale).

Face à la caméra par laquelle il se filme, un jeune homme invente sa vie. Il met en scène un amant imaginaire, avec lequel il parle, dort, se réconcilie. Le sida n’est pas mentionné. Seule l’annonce à mots couverts de la maladie transforme la fin de son film : l’avenir devient passé, le projet, projection, et la vie, rêvée, n’est plus qu’un faux souvenir. ( Dedans, de Marion Vernoux, France, 1996, Fiction).

Dans le film de Toby Feli-Holden, une jeune fille immigrée victime d’agression est convoquée par l’administration de son école. Elle avoue à sa nouvelle amie avoir dit ce qu’on attendait d’elle. Dès les premiers plans, le ton est donné, et le film adopte jusqu’au bout le point de vue externe qui laisse à l’étrangère son statut. Pour cela, il épouse le point de vue d’une adolescente, restée loin de celle dont elle croit s’approcher. Sur ses silences, elle échafaude un récit qui lui prête une histoire, et le scénario vient remplir le vide qu’il a lui-même ménagé. De l’étrangère on ne sait rien, et ce que l’on voit d’elle passe par le filtre du regard de l’adolescente. La caméra adopte son angle de vue quand elle se renverse pour filmer en donjon l’immeuble qu’habite la jeune fille. Elle l’écoute en voix off commenter sa beauté. Elle adopte ses déplacements quand elle s’élance pour contrer les attaques dont l’étrangère est victime. Elle est à ses côtés, encore, quand elle maquille sa jeune amie et lui ôte son voile. La photo d’identité réclamée par l’école est prise. Mais de quelle identité s’agit-il ? Transformée par le rouge à lèvres et la chevelure dénouée, la jeune fille ne devient séduisante que parce qu’elle rend visible la séduction qu’elle exerce. A cet instant du film, le point de vue interne narratif s’ajoute au point de vue visuel (ou la focalisation à l’ocularisation pour parler comme François Jost). Pour saisir ce que l’adolescente perçoit, l’on n’a plus besoin de voir par ses yeux. Son visage excédé suffit à montrer qu’elle ne tolère aucune résistance du réel, aucun retard. Repoussée dans ses avances, elle poussera la jeune fille du balcon. Plus encore, les fantasmes qu’elle nourrit deviennent visibles, et le spectateur le comprend après coup, quand il découvre la photographie que le père vient de déchirer, épinglée, intacte, sur le mur. Celle-ci figure, parmi d’autres, et dévoile, à la fin, un bonheur intime dont nul n’a eu idée. Il faut la mort accidentelle de la jeune fille pour que sa vie paraisse, par fragments. Mais de cet étonnement, nul ne saura rien, surtout pas les forces de l’ordre. Sans faire d’aveu, l’adolescente, coupable, assiste à l’arrestation du père. Elle a rejoint la foule qu’elle n’a jamais quittée, et regarde, avec eux, ce que chacun s’attend à voir. (Balcony (Balcon) de Toby Feli-Holden, Royaume-Uni, 2015, Fiction).

Quand ils sont arrêtés par la police pour un contrôle d’identité, les deux jeunes arabes n’interrompent pas leur discussion. Quand ils sont embarqués, non plus. Au moment de la fouille au corps, pas davantage. Ni quand les policiers les passent à tabac en prenant des gants, de boxe. L’essentiel pour eux est ailleurs : le copain a-t-il conclu avec la fille ? Qu’il ait pas-niqué met fin au suspens, et c’est là la seule déception. Codifiée, chorégraphiée, l’arrestation fait parti du décors, c’est un cadre, comme un autre, pour la conversation et notre rire produit soudain un drôle de son. (Sébastien Petretti, Etat d’alerte sa mère, Belgique, 2017, Fiction).

Les ondes rendent certains hommes malades et des voix off relatent leurs maux et leurs remèdes. Mais le son seul se charge du récit. L’image, elle, décline, par toutes ses lignes et de toutes les matières, ce dont il est question. Les ondes prennent forme dans le maillage des clôtures, dans le réseau des rails, dans les rhizomes des plantes aquatiques, dans les champs de troncs coupés, en vrac le long des berges. Elles donnent à l’air une densité inédite, et le brouillard se fait menaçant. Par elles, l’écran s’épaissit et devient une toile qui craquèle, se pixelise, ou s’anime en vagues colorées, diluées, palpitantes. Les ondes transforment l’espace en surface, encombré et inhabitable. (Ismaël Joffroy Chandoutis, Ondes noires, France, 2017, documentaire expérimental).

Dans certains films, les sons se chargent des émotions, et les images prennent sur elle le sens et sa clarté. Aux premiers revient l’inconscient, et aux secondes la conscience. Mais il est certains lieux où ce principe s’inverse. Sur les toits de Beyrouth, d’abord, la vie suit son cours, sans qu’on y pense. Les enfants jouent, les couples s’enlacent, les femmes étendent leurs lessives au vent. Un chat hirsute et des pigeons donnent à l’horizon sa crête, au milieu des antennes de télévision. La coupe du monde est retransmise à grands cris. Du son viennent les annonces qui concentrent l’attention. Par lui éclate aussi le bruit des bombes. La guerre est invisible mais son fracas qui vide les lieux nous saisit, comme un souvenir. (Tshweesh, (Interférences), de Feyrouz Serhal, Allemagne, Espagne, Liban, 2017, Fiction).

Le lion est mort ce soir

28 janvier 2018

C’est d’abord, à première vue, un film sur le tournage d’un film, comme La Nuit américaine avec lequel il résonne. La question du jeune acteur de Truffaut (les femmes sont-elles  magiques?) trouve ici son écho dans le problème que pose au vieil acteur la mort et sa rencontre. Le tournage s’interrompt un temps, et laisse le temps à un autre d’avoir lieu, celui d’une bande d’enfants dans le décors d’un lieu désaffecté, et s’imbriquent les histoires.

Le film s’achève en revenant sur le plan qui l’a amorcé, offrant au problème qu’il posait une réponse, la seule dont soit capable le vivant : en fouillant du regard un lointain qui l’exclut. Pour jouer la rencontre avec la mort, l’acteur accepte d’abord de fermer les yeux, respectant la consigne, puis il refait la scène, à sa façon, les yeux ouverts, désarmés et curieux.

Le personnage de l’acteur est joué par Jean-Pierre Léaud, et sa présence donne au film une épaisseur bien singulière. Léaud ou l’incarnation d’une nouvelle vague sexagénaire, l’expression révolue du renouveau passé du cinéma, monument vers lequel les adultes du film portent une admiration visible. Mais Léaud est aussi un vieil homme aux yeux des enfants. Il est alors Jean, Jean tout court, pour des enfants à court de mémoire, acteur sérieux et maladroit, qui écoute attentivement leurs directives mais les respecte peu, acteur libre, embauché dans un film de fantômes mais pour jouer un homme que les fantômes effraient.

Il est un vieil acteur qui joue et auprès de qui les enfants même paraissent sérieux, acteur qui rêve du fantôme de la femme aimée, et auprès de qui les enfants eux-mêmes apprennent à rêver. Le cinéma qu’il leur conseille et leur inspire n’a plus qu’à couler de source.

En lui les temps cohabitent, en dehors de la linéarité du déroulement du film, en dehors de la circularité qui est celle du scénario.

Et le regard du spectateur se surprend à le voir rajeunir à vue d’oeil. D’abord attentif à la métamorphose que l’âge impose à ses traits, guettant les signes de sa transformation, il est frappé ensuite de passer outre pour retrouver, intacts, les yeux du jeune homme, vifs et incrédules, les élans de sa voix ou l’emphase de sa gestuelle.

Le lion est mort et vive le lion, vive la promesse que revêt le retour bienveillant du fantôme, pour que, sans doute, vive, à jamais, le cinéma.

Réminiscences

28 janvier 2018

Je me rappelle : Estate, un film de Ronny Trocker. Une photo : des personnages sur une plage, immobiles, statufiés dans leur pose estivale. Seule la mer et les roses des vents s’agitent dans ce monde suspendu qui fige même les mouettes. Parmi les vacanciers, des hommes noirs en jogging, des migrants échoués. L’un d’eux s’anime, rampe, s’échappe, sur le sable parmi les joncs, malgré des sommations audibles. C’est un cliché photographique qui l’arrête, une prise de vue qui le prive de mouvement et de liberté. La photo est devenue mortifère, outil de neutralisation massive.

Je me rappelle : Panthéon discount, un film de Stéphan Castang. Trois personnages qui témoignent, en plan fixe, de leur pathologie. C’est pour l’un un cancer, pour l’autre, la cécité, pour le troisième, une mémoire saturée. A chaque mal son remède, à chaque remède son petit budget. Des yeux tous neufs, avec option pour voir la nuit, une mémoire reconfigurée, c’est-à-dire allégée de quelques souvenirs, ou un projet de mort assistée. On peut s’offrir une mutuelle qui rembourse le diagnostic, pas le traitement. Hélas, nul système n’est parfait.

Je me rappelle : The magnificent lion boy, un film de Ana Caro. Apparition disparition du lion et de l’enfant, de l’homme de foire qui met l’un en cage et le tue. Un dessin où les visages se noircissent d’émotions et disparaissent, sur la page crayonnée et noircie, et réapparaissent, à la faveur d’une éclaircie, ailleurs et autrement. L’animation met en scène la phénoménalité d’un monde.

Je me rappelle. En Colombie, la riposte d’un chauffeur de taxi à une attaque armée fera deux morts et un licenciement. (Becerra, un film Jeronimo Atehortua Arteaga).

Je me rappelle : un Ciel bleu presque parfait, un film de Quarxx. Transgresser tous les tabous en une demi-heure, c’est filmer la mort d’un enfant, d’une balle en pleine tête, le handicap abusé, l’inceste suggéré, le viol assumé, le meurtre de celle venue aider, et dont on donne le corps aux cochons. Le soleil rouge de la folie, grossit, implose et rend furieux.

Je me rappelle : Fox-Terrier, un film de Hubert Charuel, à propos de chasseurs ne sachant pas chasser sans blesser le chien du voisin.

Je me rappelle. La planéité de l’art moderne a parfois gagné l’écran, transformé en page sur laquelle on écrit l’histoire. Sur la page de Play Boys, un film de Vincent Lynen, des vignettes s’organisent, et chacune met en scène une action : une porte s’ouvre sur un chien en laisse, un homme avance vers sa moto, un autre tire à la carabine. Des clichés animés que des ballons ascensionnés ou des projectiles en chute relient, en un seul récit.

Sur l’écran page de Kaltestal, la vallée froide, un film de Florian Fischer et Johannes Krell, le ruissellement de l’eau vient animer un peu les arbres, puis se transmue en une poudreuse qui couvre tout, des arbres jusqu’aux abeilles. Cette neige, c’est la chaux, qui neutralise la profondeur et donne au paysage un aspect sidéral.

Je me rappelle le grand plongeoir (Hopptornet de Maximilien van Aertryck et Axel Danielson). Fixé sur la plateforme dont le plan fixe retrace les limites, se tient chaque personnage avant le grand plongeon. Le grand bain est hors champ et pourtant il anime chaque pas, chaque pause. L’espace est vide et le temps suspendu, mais ce moment d’avant l’action est un concentré des motifs dont l’action dépend, et des possibles qu’elle projette.

12 jours, de Raymond Depardon

17 décembre 2017

Chez Depardon, le générique sert d’abord à assigner un genre au lieu. Par les claquements des portes et des verrous qui retentissent hors champ sur les mentions du film, l’hôpital est rangé, comme la prison dont il est un instant l’avatar sonore, dans la catégorie des lieux de détention. Il retient les patients et contient les débordements, ou la vague suicidaire, l’élan meurtrier, la fuite délirante, l’épanchement dépressif.

La question posée par le film est de savoir combien de temps, et la loi en borde avec précision la durée. La loi pose encore la limite qui assigne à chacun un rôle et un pouvoir : le juge n’est pas médecin, il le rappelle, l’avocat n’est pas juge et il n’est jamais filmé autrement qu’aux côtés du client qui lui donne sa fonction. A chacun, ou presque, sa contenance.

Quand les sons laissent place à l’image, dans la première séquence, les couloirs contiennent encore la progression de la caméra.

Pourtant, rien n’en fixe la durée, et c’est par elle que s’immisce l’anomalie dans cet univers ordonné. La lenteur de l’exploration paraît aussitôt excessive, tant il y a peu à voir, comme la largueur des couloirs d’hôpital quand ils sont inoccupés. Dans la cour extérieure, grillagée, la promenade se prolonge au delà du temps qu’exige, pour être traversée, l’exiguïté du lieu.

 

Le film joue sur l’écart, entre l’espace et le temps (l’un, confiné, trace des limites que l’autre excède, un peu), entre le son et l’image (derrière la porte close de la salle d’apaisement s’échappent des plaintes, non apaisées), entre la contenance des représentants de l’institution maintenus dans leur rôle, et l’allure décontenancée des malades, dont on guette les failles, la fuite, le dérapage.

Les langages à leur tour cloisonnent, comme fait l’espace, ou décloisonnent, comme fait la durée. Un vocabulaire convenu circonscrit le jugement et le diagnostic, et les distinguent, donnant du mal une version intraduisible au patient. Le langage du malade se divise au contraire entre des registres différents, ou ses questions jouent sur les mots : le collège des médecins renvoie un patient à ses années d’école, et la procédure en cours lui fait endosser le rôle du détenu. Par les mots, divers statuts se croisent en lui et cohabitent.

 

Le patient est filmé en plan serré, isolé dans le champ ou, pour conclure l’entretien, en plan large avec soignants et avocat. Jamais il n’apparaît dans le champ avec le juge dont dépend la poursuite de la détention. Chaque patient a une histoire singulière et des raisons diverses d’être là. Mais chez tous, les yeux sont fixés. L’alternance du montage attribue au juge l’adresse de ces regards dirigés hors-champ.

Mais ce terme, ordinaire, prend un sens extraordinaire. Ce n’est plus un espace que voit le personnage et qui échappe au spectateur, mais un espace que le personnage ne voit pas et par lequel il s’échappe.

Ainsi absorbé, il s’absente et c’est le spectateur qui se prend à en scruter le visage pour guetter l’indice d’une présence. Il observe le patient, alors qu’il regarde seulement les autres personnages. Un débit trop rapide ou trop lent, le début d’une agitation, un sourire qui flotte sans raison, un discours qui s’emballe et s’égare, tout est à prendre pour repérer ce qui cloche dans cet alter ego.

 

Le patient est le creuset où se concentrent une époque et ses maux, ou bien ses mythes. Les histoires collectives (l’abandon, le viol, le terrorisme ou la gloire usurpée) trouvent dans l’individu leur écho, sans filtre. La pathologie est une absence d’intermittence dans le rapport de l’être au monde, et le malade intègre tout, sans jamais s’absenter pour revenir à soi. Sans battements de paupières, quasiment en apnée, il reste ouvert. Il assimile en foule et en vrac, les histoires de tous et de chacun. Et restitue en flot toutes les aspirations et les espoirs déçus.

Les images-phénomènes

12 juillet 2017

La revue Artpress2 sortira le 15 Août 2017, sous le titre « Des concepts proposés à l’art ». Ce numéro spécial est consacré au philosophe François Jullien. Sinologue, François Jullien présente ainsi la démarche qui inspire ses ouvrages, dans l’Avertissement du Traité de l’efficacité : « un décalage est à tenter. Décaler s’entendant aux deux sens du terme : opérer un certain déplacement par rapport à la normale (celle de nos habitudes de pensée) en passant d’un cadre à l’autre – d’Europe en Chine et réciproquement – qui fasse bouger nos représentations et remette en mouvement la pensée ; et aussi décaler au sens d’enlever la cale : pour commencer d’apercevoir ce contre quoi nous ne cessons de tenir calée la pensée mais que, par là même, nous ne pouvons pas penser.
Certes, pour opérer ce décalage, il faudrait refondre la langue et ses partis pris théoriques : chemin faisant, la faire dévier de ce qu’elle se trouve portée à dire, avant même qu’on ait commencé de parler – l’ouvrir à une autre intelligibilité possible, la tirer vers d’autres ressources1 ».
Ainsi, il s’agit de proposer de nouveaux concepts à l’art, pour faire bouger nos représentations. Le terme d’image-phénomène, que j’emprunte à François Jullien, me paraît être à même d’ouvrir le film d’Akira Kurosawa, Barberousse, à une autre intelligibilité.
En déplaçant notre vision du film, hors du cadre de l’image qui la conditionne, il rend intelligible la dimension nouvelle sur laquelle Kurosawa ouvre le cinéma.

Artpress

1 Jullien François, Traité de l’efficacité, Paris, Edit Grasset, 1996

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