Comment devient-on spectateur de film ? La réponse paraît simple. Il suffit de prendre place, devant l’écran. De notre position dépend notre statut.
Ainsi, un spectateur reçoit ce qu’on lui donne à voir. La création de l’oeuvre et sa réception sont deux étapes distinctes, et successives, et chacune donne à chacun sa fonction. Le créateur est aux fourneaux, il s’active, et le spectateur, attablé, attend, en invité de choix.
Pourtant, n’est-ce pas là une vision simpliste ? Sans doute, un plasticien peut-il produire sans exposer. Mais un cinéaste ne peut réaliser un film sans le projeter.
Un dessin au fond d’un tiroir est déjà un dessin, mais un film sur la pellicule n’est pas encore un film.
Il faut passer par la mémoire du spectateur pour transformer l’image fixe en mouvement et pour transformer l’image en mouvement en signe. Sans la mémoire de la rétine qui lie et dynamise la succession d’images, ce sont 24 images fixes par seconde que l’oeil percevrait. De la même manière, sans les plans de l’enfant, de l’assiette, du cercueil, qui lui sont associés au montage, et dont le spectateur se souvient, le visage impassible que filme Koulechov resterait impassible, et non pas, tour à tour, attendri, affamé, affligé.
Le film n’existe donc pas avant la projection, mais au moment où celle-ci a lieu, et le spectateur devient co créateur. C’est sa mémoire qui construit le film.
Mais par quoi cette mémoire est-elle elle-même construite ?
La relation du spectateur au film nous éclaire-t-elle sur notre relation au monde, montrant une fois de plus que l’art a ce pouvoir de rendre manifeste ce qui donne sens à l’expérience humaine?
Suite à paraître…