L’éthique martiale : un remède à la souffrance des soignants ?
A lire dans éthique & santé, n°17
La souffrance est l’expérience d’un conflit intérieur. L’hôpital souffre quand il ne peut plus concilier ses objectifs et ses moyens. Le soignant souffre quand il est partagé entre le désir de prendre du temps et la peur d’en perdre. La division menace la santé des individus comme des institutions et exacerbe leurs relations. L’éthique martiale est une voie de résolution des conflits. La pratique qu’elle engage aide chaque individu à restaurer son identité. Ainsi, peut-il recouvrer la santé et trouver la condition d’un rapport pacifique aux autres. C’est ce travail qui mobilise le personnage du film de Takashi Koizumi. Sans doute, il ne suffit pas au soignant de guérir pour soigner l’institution qui l’emploie. Mais il importe à la mission qu’il exerce qu’il ne tombe pas malade à son tour.
Mais, au Japon, l’éthique martiale prend un sens radicalement différent qui suit l’évolution des arts martiaux dont elle relève. Après la seconde guerre mondiale, la voie martiale est devenue pacifique. Elle n’est plus l’art de gagner la guerre mais l’art de l’éviter. Pour résoudre les conflits, il n’est pas besoin de convoquer des techniques qui permettent d’en triompher, si l’on restaure, en amont, l’harmonie qui les désamorce. La paix n’est pas l’issue du combat, mais l’état initial qui le rend inutile et inopérant.
Comment trouver la paix ? André Cognard évoque l’enseignement de son maître : la paix est impossible, et les discours impuissants, tant que l’ennemi n’est pas vaincu. Mais, pour Kobayashi sensei, l’ennemi n’est pas celui que nous combattons, mais ce qui fait que nous combattons [1]. Le conflit n’a pas lieu d’être si l’on supprime ses raisons d’être.
Quelle est la portée de cette éthique dans un milieu d’ores et déjà transformé en champ de bataille ? Lorsqu’on entend les soignants témoigner des pressions qu’ils subissent et des tensions qui compliquent leur mission, l’on comprend qu’ils aspirent à la paix. Mais peuvent-ils trouver en eux-mêmes le remède à la violence dont ils sont victimes ? En un mot, vaut-il mieux se changer soi-même ou changer l’institution en prenant les mesures qui s’imposent ? Si l’éthique martiale tranche dans ce débat, ce n’est pas en s’offrant comme une alternative au discours politique. C’est en se démarquant de lui. L’éthique n’a pas la charge de guérir l’institution, mais de veiller à ce que l’individu ne tombe pas malade à son tour.
De quels moyens dispose-t-elle pour venir en aide ? La politique a ses réformes, et la morale, ses règles a priori. L’éthique martiale repose, quant à elle, seulement sur une pratique qui engage corporellement l’individu. La pratique n’est pas une technique par laquelle garantir l’efficacité du résultat. Elle ne délivre pas les recettes du lien harmonieux. Par contre, elle permet, par le travail postural qu’elle implique, d’avoir une conscience claire de son identité, ce qui évite de « laisser l’autre mobiliser notre énergie à cause de l’indétermination corporelle » [2], comme c’est le cas lors d’un conflit.
Doit-on alors s’engager dans une pratique pour comprendre le sens martial de l’éthique ? Au Japon, la pratique martiale est un art dont les autres arts s’inspirent. L’acteur, le peintre, le calligraphe trouvent dans la concentration martiale la source d’un geste simple et fulgurant.
Le cinéma peut avoir cette puissance. Dans le film Après la pluie, réalisé par Takashi Koizumi, en 1998, l’année de la mort d’Akira Kurosawa, et selon le dernier scénario écrit par celui-ci, un personnage est mis en scène, celui d’un samurai errant dont la conduite éthique est exemplaire. L’image a un pouvoir de représentation qui facilite la réflexion. Mais l’image a aussi une puissance lorsqu’elle nous fait toucher des yeux les ressorts de l’action. Alors trouve-t-on en elle ce qu’on n’attendait pas : l’expérience d’une concentration bénéfique.
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