Partir sans éteindre la lumière : d’emblée, les scénarios s’amorcent. Quelqu’un, la tête ailleurs, a quitté un lieu. Quelqu’un a fui, laissant peut-être en désordre la pièce inoccupée. Quelqu’un a laissé les lampes allumées pour cacher aux autres son absence ou se cacher à soi-même son angoisse de la nuit.
Avant même de visiter l’installation de Marie Losier et Pauline Curnier Jardin, la lecture de son titre éveille notre imaginaire. Elle réveille aussi la mémoire. Partir sans éteindre les Lumières, c’est aussi mettre en scène l’artifice auquel le cinéma doit son existence et sa poésie. Dans la salle s’installent des dispositifs bricolés qui s’intègrent à l’univers qu’ils fabriquent. Un rideau reste ouvert, pour la projection, peint d’une forêt prolifique, une forêt de fête foraine qui est déjà un spectacle. Une toile tendue en guise d’écran ondule. Elle plisse le corps vieillissant des personnages et fait que leur fard scintille. Devant un mur sont projetées dans un bruit régulier d’horloge des diapositives. Entre chaque image, l’appareil reprend son élan et donne à l’enchaînement un caractère à la fois implacable et miraculeux.
Dans cette atmosphère de soirée en famille, ou de cours de sciences d’autrefois, s’active la réminiscence et avec elle le goût des jeux. Sur la surface d’un gâteau factice est projeté un film dans lequel des personnages burlesques se jettent des tartes à la tête, dans la pure tradition du muet. Au milieu de la rue filmée comme un ring, un arbitre, en costume rayé, enregistre sans perdre un détail ces joyeuses hostilités. Cet arbitre, c’est Marie Losier, jetée dans la bataille pour orchestrer la chorégraphie, disposer chacun en son lieu, apporter à chaque silhouette sa retouche. Elle virevolte comme un feu follet, une luciole.
Entre ses mains, le cinéma est toujours une lanterne magique. Il rejoue un théâtre des origines, mais c’est un théâtre ambulant qui embarque en roulotte et fait halte, de village en village, sur la grand place. Ce ne sont pas des personnages incarnés qu’il met en scène mais des corps travestis en personnages par leurs masques et leurs cicatrices. Des parures se déploient au grès des panoramiques, bonnets ornés de fleurs en plastique, diadèmes, plumes qui métamorphosent en oiseaux des visages. Parfois, au détour d’un œil alangui et dans l’épaisseur des étoffes, le féminin et le masculin se conjuguent.
Si l’on associe librement sur cette installation et le cinéma qu’elle expose, l’on songe à des mots comme excentrique, exubérant, explosif ! Tous ont en commun le jaillissement. A l’écran, les corps paradent devant une caméra qui les passe en revue. Ils se parent pour être vus, comme l’on dit des morts sur leur dernière couche ou des jeunes mariés après leurs noces. Ils pausent, cernés dans leur course, toujours tragiques et exaltés.
Le 13 Juillet 2019