Le film commence dans la veine des films de Vittorio De Sica, dans un appartement sordide en sous-sol, à hauteur de déjections canines. Le teint des murs est gris, les peintures écaillées, les bols ébréchés, la chambre surpeuplée d’enfants. Pour Délia, la mère, la bluette a tourné court, et elle subit sans se plaindre sa condition, servir en restant debout.
Mais, dès le générique, sa marche filmée au ralenti crée l’écart avec la tradition du néo-réalisme. Plus tard, les scènes chorégraphiées et la bande son saturée achèveront d’ancrer le film dans sa modernité. L’hommage n’est pas un exercice d’école mais sert un propos singulier.
Ce n’est pas à bicyclette mais à pied que la mère se rend au travail, à travers un dédale de quartiers. C’est l’argent qu’elle gagne qu’elle vole quand elle remet à son mari ses gains moins quelques billets.
La famille réunie le temps d’un repas qui consacre de manière officielle des fiançailles est en fait la réunion de trois duos : le duo des garçons qui occupent leur temps en bousculades, le duo du père de famille avec son père à qui une chambre est réservée, le duo de la mère avec sa fille, l’ainée. Ce duo-là remplace celui, légendaire, que forment le père et son fils dans le Voleur de bicyclette. Lui était déclassé par le manque de travail, elle, Délia, est déclassée par le travail qui l’a privée d’école et d’éducation. Sa fille quant à elle est trop âgée pour croire à la comédie de sa mère qui jure que tout va bien, et trop jeune pour voir que la comédie amoureuse que lui joue son futur mari est déjà lourde de menaces. Le déterminisme transmet aux femmes la domination comme il transmettait aux hommes la pauvreté. La présence bruyante du grand-père grabataire, ses exigences, et ses mains déplacées, ses leçons à son fils sur l’art de battre sa femme en sont le rappel constant.
Mais la mère est lucide et détourne pour scolariser sa fille l’argent qu’elle réservait pour la marier.
Le récit est, comme chez De Sica, celui d’une émancipation. Mais les larmes qui faisaient grandir le petit garçon découvrant la fragilité de son père, sont ici remplacées par le sourire radieux de la fille qui découvre chez sa mère une force insoupçonnée.
La plus grande subtilité du film réside dans le revirement qu’il opère à la fin et qui prend le spectateur au piège de clichés dont il se croit loin. Lentement, la réalisatrice tisse les indices par lesquels forger notre croyance. Une rencontre, une lettre, le visage réprobateur de la concierge, une amie complice, tout nous conduit vers un dénouement probable et conventionnel. De la fuite viendra le salut. La mort inopinée du beau-père la retient et met nos nerfs à vif. Le calendrier livre une date qui se joue de l’espoir que l’on nourrit pour elle. Dans la foule rassemblée qu’elle rejoint, l’on se prend à guetter, pris encore dans l’espoir tenace que le dénouement espéré arrive.
A la toute fin du film, on comprend la leçon. La réalisatrice prend à rebours les mentalités et les issues qu’elles réservent aux femmes. Bouche fermée, l’héroïne revendique, et la liberté qu’elle assume nous place loin de nos sentiers battus.