D’emblée, dans l’installation de Anne Imhof au Palais de Tokyo, une vidéo donne le ton. Sur la largeur d’un mur passe en boucle la course d’un chien dont la trajectoire prend celle du visiteur à rebours. Marcher en regardant le film, c’est avancer à contre-courant. C’est faire l’expérience d’une démarche qui prend à contre-pied le dispositif habituel d’exposition. Au chemin de croix qui oriente la visite et ordonne, d’une station à l’autre, les pauses, se substitue la déambulation dans un Palais où il fait bon se perdre.
Un panneau nous indique qu’il est question de labyrinthe. Le terme est bien choisi s’il désigne le caractère aléatoire du trajet. Par contre, il l’est moins pour décrire l’aventure. Car, dans un labyrinthe, la part de l’invisible l’emporte, comme l’observe Bonitzer. Le visible n’est qu’une portion congrue, comme la partie émergée de l’iceberg. Ici, au contraire, si la vision reste limitée, c’est parce qu’il y a trop à voir en même temps. La transparence des vitres qui forment de longs couloirs, des places et des carrefours, montre simultanément les fresques, les vidéos, les graffitis urbains. A chaque tournant surgit un nouvel aperçu qui réoriente le pas, ou qui, en se superposant à d’autres, rend la vision de chacun partielle. Parfois, c’est l’impression de déjà vu qui achève de brouiller les pistes. Qui trop embrasse mal étreint, dit l’adage. À l’échec de la pensée synthétique, le débordement du regard fait écho. Le dédale des œuvres redouble celui des colonnes, et l’ensemble constitue les vestiges d’une ancienne ville qui donne sa forme à l’errance. Et chaque œuvre à son tour déroute, quand sa surface, réfléchissante ou diaphane, rend réversible l’envers et l’endroit, ou contient dedans le devant.
Le spectateur qui marche fait l’expérience vivante du ré-ajustement qui donne sa complexité au visible et au voir ses infinies variations.
Sylvie Lopez-Jacob