La peinture, selon Picasso, ne doit pas imiter la nature mais travailler comme elle. En serait-il de même pour la photographie ? Pour le cinéma ?
Chez Raphaëlle Peria, la prise de vue n’est que l’amorce de la création. La fraise, la gouge ou le poinçon opèrent sur la pellicule photographique comme le scalpel sur la peau, pour produire la métamorphose. Sous le paysage, décapé, blanchi, une autre image surgit, comme celle que la mémoire retouche.
Le film de Brigitte Barbier n’est pas en reste. Il épouse le processus qu’il décrit et travaille à son tour comme l’artiste. Du flou cohabite avec la netteté dans l’image et la mise au point joue à les inverser. Par le reflet qui la creuse ou le relief que produit son abrasion, la surface filmée par la caméra devient une profondeur qui s’explore. Les plans, comme les souvenirs, reviennent. Ils se reconstituent. Il faut d’abord voir la vague puis la main pour saisir enfin l’artiste au travail sur la plage.
La réalisatrice, à l’instar du peintre et du photographe, ne montre pas mais rend visible. L’horizon émerge comme une ligne que trace la voiture en mouvement. L’arbre se devine au feuillage que la décélération rend moins flou. Encore ce dévoilement n’a-t-il lieu qu’en partie et l’artiste elle-même n’est jamais dévoilée. Elle n’apparait qu’à moitié, de profil, en amorce, ou trop loin pour qu’on en distingue les traits. La voix devance l’apparition du visage sans jamais s’y greffer.
En progressant ainsi, d’aperçus en réminiscences, le film n’explique pas l’oeuvre, il en construit la compréhension. Les gestes nous conduisent vers l’action, et leurs effets laissent deviner son résultat. Le film met notre mémoire au travail. Il la sonde, et les voix chuchotantes qui, soudain, flottent comme une armée d’ombres autour de la pellicule déroulée, nous remettent La Jetée de Chris Marker à l’esprit.
Le film finit par offrir sa pellicule comme on donne son corps à la science et il est, à son tour, travaillé par l’artiste. Eraflée par la lame, marquée par les sillons, la dernière séquence n’est plus qu’un dessin qui s’anime, et les traits blancs progressent comme une algue prolifère, pour couvrir la falaise de liserons blancs.
Ce n’est plus l’oeuvre qui donne au film son motif, mais c’est le film qui donne sa matière à l’oeuvre : y a-t-il plus belle manière de servir son sujet ?
Sylvie Lopez-Jacob