L’espace est silence, dit de son oeuvre le poète Henri Michaud. Sur les toiles de Zao Wou-Ki, à l’entrée du musée, c’est plutôt un espace bruyant qui prend place. Une concrétion de matière et de mouvements trace une ligne médiane, un foisonnement de couleurs sombres, noires, brunes, rougeoyantes qui laissent exsangues les extrémités du tableau. Pour l’imaginaire du cinéphile, des filets de pèche remontent les thons à la surface et leur agitation concentre les gerbes d’eau, tandis que la mer, plus loin, reste calme, au large de Stromboli. L’effet est d’abord chaotique et l’impression première est celle de trop plein.
Dans certains tableaux, plus tardifs, un mouvement centrifuge a expulsé les formes aux confins du cadre. Le centre s’éclaire, et s’apaise. Dans les dernières salles, la toile, par ses grandes dimensions, et ses aplats de couleur, est devenue un ciel, lavé par l’orage, qui sollicite l’immersion et le recueillement.
Pourtant, ni apaisement ni recueillement n’ont d’abord lieu. La phrase de Michaud résonne comme une fausse promesse. Comme un regret plutôt, ou une prière tant l’atmosphère du musée est sonore. Le musée est un lieu public où chacun s’interpelle et converse sans retenue. Dans ce salon où l’on cause, le faire si possible à haute voix. D’où vient cette propension à faire autant de bruit ?
Sans doute, pour un grand nombre de visiteurs, la rencontre avec le tableau est-elle biaisée. Sur le téléphone portable qui prend l’oeuvre en photo, c’est l’écran qui redimensionne le cadre, qui le normalise, en ajustant à ses limites les limites de l’espace pictural. L’effet produit sur le corps par le grand format est alors aboli. D’ailleurs, une fois la photo prise, le visiteur ne s’attarde pas. Il s’éloigne aussitôt. L’oeuvre qu’il tient ne le retient pas. Cette mise en boite est un succès qui donne à sa visite l’allure d’une conquête, devenue bruyante en devenant collective. Les toiles sont des étales, et le musée, une place de marché.
Quand survient un moment d’accalmie, c’est une inspiration, une prise d’air.
On réalise alors que la respiration qui alterne le plein et le vide, s’est exportée, hors du tableau, dans la salle où il est exposé.
Si c’est le corps du spectateur que l’exposition mobilise, c’est le corps de la foule que le musée, par ses nouveaux usages, vient provoquer, cette foule dont la rumeur gonfle et décroit.