Sous la lumière crue de la scène, un homme a plongé la main et le bras dans un caisson en bois, noir et blanc, pour en extraire la forme en bois d’un éléphant. Noir sur noir, et voici que la forme disparait sur le fond. Caché dit l’homme. Ce sera le seul mot, un mot bien choisi pour se connecter à l’enfance.
Tu es bouchée bée, et c’est ton dos bien droit qui le dit.
D’un cube, voisin du précédent, monte une forme ondulée guidée par la main d’une femme. Le serpent a fait son apparition, suivi bientôt du papillon. Un crocodile cahin caha déambule, dans cet univers de bric et de broc, tout en bois.
Les animaux ont gardé pour eux les couleurs, car tous les cubes qui s’empilent sont ou bien noirs, ou bien blancs. Les deux parfois, géométriquement, se combinent.
Mais de quoi parlent-ils ? Les mots sont mâchouillés, gazouillés, et pourtant, ils modulent des relations qui ne laissent aucun doute. Se jouent la jalousie, le repli de l’enfant qui boude, la réconciliation.
Puis les deux comédiens se faufilent entre les immeubles inventés, entre les arbres d’un bosquet fictif. Tu suis des yeux leur gymnastique quand ils frôlent les caissons entassés. Ton immobilité me fait songer que tu te balades avec eux, là-bas.
Mais que font-ils ? Ils envoient tout promener.
Patatras.
La scène n’est plus qu’un champ de ruines, ou plutôt une chambre en désordre. Il faut tout enjamber. Pour trouver les lettres dans la malle. À chacune épelée, un nom est associé, celui d’un animal. À chaque nom une pièce du décor est bâtie.
C’est l’alphabet qui remet l’univers en ordre, comme une parole divine.
Que manque-t-il à ce monde en couleur reconstruit ? Le temps.
C’est la mélodie qui l’installe, chantée par les deux comédiens qui terminent ainsi le récit.
Toi, pourtant timide, tu veux bien t’approcher. Tu vas toucher l’éléphant, puis reviens.
Tu retournes vers le papillon puis reviens.
À chaque fois, ton visage s’illumine.
Ton plaisir est visible et pourtant mystérieux. D’où vient-il ?
J’aimerais voir par tes yeux, j’aimerais croire qu’un animal en bois s’anime si on le veut.
J’aimerais ré-enchanter le monde que l’âge et la raison m’apprennent à désenchanter.
J’aimerais croire, aussi parfaitement que toi, à la magie du théâtre.